Avant l’épreuve orale

Par Anaïs Dattner

J’ai préparé hier soir mon sac et mes vêtements. J’ai pris un repas léger et je me suis couchée tôt. Je n’ai pas réussi à m’endormir… Les actualités sanitaires et sociales se mélangeaient dans ma tête. L’IVG, l’euthanasie, l’exclusion, le système de santé, les chiffres, les dates, les lois, les risques psychosociaux, encore des chiffes, le mariage pour tous, le suicide, le handicap… Se bousculaient dans ma tête. Jean Léonetti me dictait sa loi, Vincent Lambert me disait sa souffrance, Simone Veil m’expliquait l’IVG, Virginia Henderson m’énumérait les 14 besoins fondamentaux de l’être humain au creux de l’oreille. J’étais assaillie par des termes que je ne savais plus définir, l’automédication, la précarité, les incivilités, les discriminations, les maladies nosocomiales… Bref, impossible de dormir jusqu’à 4 heures du matin…

7h00. Mon réveil a sonné.

Je me précipite hors du lit, je me douche, je m’habille, je me maquille un peu (pas trop), je me coiffe, je retire mon piercing, je nettoie bien mes ongles que j’ai coupés courts hier soir et je vérifie qu’ils n’ont pas de traces de vernis. C’est étrange, je ne me sens pas fatiguée, pourtant je n’ai dormi que trois heures.

Je ne peux rien avaler, j’ai une grosse boule dans le ventre et je suis sûre qu’elle ne partira pas avant la fin de l’épreuve. Je prends mon sac, je vérifie encore une fois qu’il contient bien ma convocation et ma pièce d’identité ainsi que le plan pour me rendre à l’IFSI. J’ajoute à tout cela une petite bouteille d’eau et une pomme. Je mets ma veste.

7h30. Je sors. J’ai une demi-heure d’avance sur mon timing.

J’attends le bus. Simone Veil et Jean Leonetti avec Alain Claeys reviennent me harceler. Mais c’est qui déjà Alain Claeys ? Je les chasse de mes pensées. Je décide de me faire confiance. « Faites-vous confiance, disait ma prof de prépa, vous avez beaucoup de connaissances, au moment venu vous saurez les mobiliser ». OK, je me fais confiance… Je consulte quand-même les actualités de Google en attendant le bus pour trouver des trucs intéressants à raconter aux membres du jury. Je regrette de ne pas avoir pris mon livre de prépa pour le lire dans le bus. C’est ma prof qui m’a dit de ne pas réviser à la dernière minute. Je fais des sudokus pendant le trajet, ça me vide la tête.

8h10. Je suis arrivée devant la porte de l’IFSI. J’ai 35 minutes d’avance sur mon timing.

Il y a un café en face. Je m’installe à la terrasse. Je commande un café et un croissant avec un verre d’eau. Je bois un peu de café, ça ne passe pas. Je garde les yeux sur la porte de l’IFSI. Des candidats aussi paumés que moi commencent à arriver. Ils regardent leurs montres, ils restent devant la porte sans s’adresser la parole. Je fais l’effort de boire le verre d’eau à toutes petites gorgées et j’attends. J’enveloppe le croissant dans la serviette en papier ; je le glisse dans mon sac. Je sais que je serai affamée quand tout sera fini. Je coince un billet de 5 euros sous le verre vide. Les candidats se resserrent devant la porte, une personne les invite à entrer dans l’école.

8h40. J’entre dans l’école.

Je rattrape le groupe. Nous montons un escalier et nous passons une porte sur la droite. Nous sommes dans un long couloir. Nous faisons la queue devant un petit bureau où il nous est demandé de présenter notre convocation et notre pièce d’identité. Nous devons aussi signer la feuille d’émargement. Tout se passe exactement comme on nous l’a décrit lors de la prépa. La boule dans mon ventre commence à disparaitre… Je me sens beaucoup mieux. Je regarde autour de moi et je prends conscience que cette école sera peut-être bientôt la mienne. Cela me fait plaisir. Je regarde un tableau d’affichage protégé par une vitre sur le mur. Ce sont des informations pour les étudiants de première année. Dans quelques mois ces infos s’adresseront à moi ! Il y a des plannings, une liste de lieux de stages, la correction d’une évaluation, des convocations d’étudiants. Il y a aussi une boucle d’oreille scotchée dans un coin avec cette inscription : « Trouvée en salle de TP – Venez au secrétariat avec l’autre boucle pour la récupérer ». Ce tableau me donne une impression très positive de l’école. Je me sens de mieux en mieux.

C’est mon tour. La personne qui vérifie ma convocation et mon identité est très souriante. Elle fait tout pour nous mettre à l’aise. J’apprécie la manière dont elle essaye de nous rassurer. Je signe, je remarque que je suis la troisième sur la liste, je ne devrais donc pas attendre trop longtemps. Je vais m’installer dans la salle qui m’a été indiquée, où je retrouve les autres candidats. L’attente recommence. La personne qui nous a accueillis entre dans la salle et se présente : elle est formatrice dans l’école. Elle nous explique que nous sommes tous arrivés et que nous allons être appelés chacun notre tour pour préparer l’exposé pendant 10 minutes puis pour passer devant le jury. Elle nous dit qu’il faudra lui laisser nos sacs et nos manteaux pendant l’épreuve et que nous ne devrons garder que notre convocation, notre pièce d’identité et notre stylo avec nous. Elle nous autorise à utiliser nos portables en attendant (je sais que cela n’est pas autorisé dans toutes les écoles). Elle appelle la première candidate qui sort de la salle avec elle. Nous sommes une dizaine, nous nous regardons tous avec inquiétude mais nous ne nous parlons pas.  Je me remets aux sudokus. Dix minutes plus tard, la formatrice revient dans la salle, elle semble surprise du silence qui y règne et nous dit en riant que nous pouvons parler entre nous. Elle appelle le second candidat. Celui-ci se lève d’un bond, il a l’air vraiment paniqué. Nous lui jetons des regards qui se veulent rassurants.

Je recommence à stresser. Je sais que je suis la troisième sur la liste. Je me remémore les exercices de gestion du stress que nous avons pratiqués en prépa. Respirations profondes, contractions puis détentes musculaires, visualisation de paysages aimés… je réalise ces exercices en faisant semblant d’être concentrée sur mes sudokus. Je me rappelle aussi le conseil d’une amie comédienne : « mange une pomme juste avant d’entrer en scène, ça tue le trac ! ». Je sors ma pomme, je croque dedans, ça ne passe toujours pas… Je la remets dans mon sac. J’attends longtemps, longtemps, je ne comprends pas pourquoi on ne vient pas m’appeler. Comme le trac est toujours là, je décide de partir en pensée sur l’île que j’aime, je nage, je me détends, il fait chaud, je me laisse porter par les vagues… je ferme les yeux. J’entends des voix lointaines sur la plage, quelqu’un appelle un nom, des personnes rient, le nom est encore appelé, les rires recommencent… Je me sens bien. On me secoue légèrement l’épaule, je me réveille, j’ouvre les yeux. La formatrice est là, tout près de mon visage et elle dit en riant : « vous dormez ? Cela fait trois fois que je vous appelle ! C’est votre tour !!! ». Les autres rient de plus belle. Je ne leur en veux pas, c’est vrai que c’est drôle, d’ailleurs j’ai envie de rire moi aussi !

Je sors en prenant trois grandes inspirations, je rassemble tout mon courage, j’y vais, je vais y arriver !